Début de la nouvelle intitulée
CORONAVIRAL :
Doucement il sentait une douleur revenir. Sur la tempe gauche. Revenir parce que ça faisait longtemps que son corps n’avait plus eu la moindre sensation. Combien de temps. Il était bien incapable de le dire. De toute façon ce n’était sa préoccupation principale. Pour le moment il n’avait pas conscience de son corps. Seulement de cette petite région temporale. Comment alors redevenir lucide dans cet état-là ? Il n’était plus rien, il ne se souvenait de rien, même plus de qui il était. Avait-il encore un esprit ? Un corps ? Gérard inspira très légèrement plus fort. La douleur fut fulgurante. Dans sa poitrine. Il retint sa respiration et exhala doucement le peu d’air que ses poumons contenaient.
Ah oui ! Poumons, oui mes poumons ! Gérard, je m’appelle Gérard, je suis Gérard, je suis de retour ! Mais où suis-je ? C’est un peu pareil mais aussi très différent des vapeurs dont j’émerge après une mémorable cuite ! Pourquoi mes premières pensées sont-elles alcoolisées de suite ? Je ne pensais pas en être à ce point !
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Alors monsieur ça va ?
Une inspiration douce et lente. Qu’est-ce que c’est que ces sons ? On me parle ? Qui me parle ?
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Alors monsieur ça va ? Réveillez-vous ! Ouvrez les yeux !
Mais … mes yeux sont ouverts … je vois … oh, il y a de la brume ici ! Ce n’est pas clair. On me touche ! Justement mes paupières. Une est soulevée. Je reçois un éclair blanc violent. Mais je ne peux pas bouger. Je tente de réaliser où sont mes bras. Ils ne devraient pas être très loin de ma tête quand même !
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Alors monsieur, ça va ? Ouvrez les yeux ! Réveillez-vous ! Je suis l’infirmière.
Me réveiller ? Mais … mais enfin, je ne dors pas ! Ouvrir les yeux, pour recevoir une nouvelle décharge ? Non, pas ça !
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Il ne veut rien savoir. Faut qu’il réagisse à la fin !
On secoue un peu Gérard par l’épaule. Un peu plus, mais les gestes sont doux. On le berce en quelque sorte. Une infirmière se penche plus près de Gérard.
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Alors monsieur ça va ? Coucou, réveillez-vous, ça va aller maintenant !
Pourquoi maintenant ? Avant ça n’allait pas ? Ah oui, je me rappelle de quelque chose. La brume dans le bois. Il fait frisquet. On attend les ordres de la chasse. J’ai le fusil prêt, bien calé. Oui, on a mangé des rillons et des rillettes et on a bu du Chenonceaux avant de se poster Guy et moi. Voilà, ça y est ! Mes idées se rassemblent. Des images reviennent. La bête approche. Le cor vient de le signifier d’un trille vigoureux. Il résonne encore dans ma tête ! Ho, là là ! Non, non ! Ce n’est pas le son du cor au fond du bois ! C’est une sirène, la sirène de l’ambulance ! Mais … alors … je mélange tout.
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Laissez-moi ouvrir les yeux. Doucement. Ne me brusquez pas !
Gérard fut surpris de s’entendre parler. Il ne reconnaissait pas sa voix. C’était celle d’un étranger, ce ne pouvait pas être la sienne ! Il se mit à penser à Guy. Son grand copain. Ils ont continué chaque jour à se voir, même avec d’autres amis, alternativement chez l’un ou l’autre. Chaque jour. Même après la décision du confinement. Putain, c’est là qu’il l’avait contracté ce virus dont il avait entendu dire tout et son contraire ! Il était persuadé que ce n’était pas pour lui ! Maintenant il avait hâte de retrouver Guy et ses autres potes ! Il fêterait sa guérison !
— Je crois que ça va venir ! murmura-t-il.
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Oui, j’en suis sûre. Il faut faire cet effort, monsieur. Je suis l’infirmière.
L’infirmière, oui, c’est ça, j’ai été transporté aux urgences. Et c’est l’infirmière qui me parle.
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Alors monsieur ça va ? Regardez-moi.
Ça y est ! Je vois ! Enfin voir est un bien grand mot ! Tout est trouble ! Le brouillard n’existe pas que dans ma tête ! Je fixe mon regard afin d’en augmenter la netteté. Je la vois, je vois enfin le visage de mon infirmière… Enfin … je vois une forme verte en haut, blanche en bas, avec des lunettes larges et inesthétiques.
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Alors monsieur ça va mieux ? Je suis l’infirmière ! Je m’appelle Karima. Vous revenez de loin.
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Vous vous appelez … comment vous avez dit ? demanda Gérard.
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Karima. C’est moi qui m’occupe de vous. De vous et de bien d’autres malades.
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Vous avez dit Katia. C’est ça ? Katia ?
— Non, pas Katia, Karima pour vous soigner monsieur. Maintenant que vous avez repris conscience on va continuer le traitement. Vous nous avez fait peur ce matin. On vous a vite redescendu en réa. Et vous voilà de retour. Tout va bien se passer désormais. Je vous laisse reprendre vos esprits.
Reprendre mes esprits ! Comme elle y va. M’enfin j’suis pas dans un hosto d’Alger ! Comment ça, Karima. ? Le masque ça ne la change pas beaucoup, elle a l’habitude d’être voilée ! Ah, ça fait du bien de rire un peu ! Non mais, on est tombé bien bas pour recruter de telles personnes. Infirmière, infirmière ce n’est même pas sûr qu’elle en ait les compétences ! Bon, laisse tomber Gérard. Réfléchis à ce qui s’est passé ces derniers temps. Ça revient, mais en morceaux ! Il faut recoller tout ça et de préférence dans le bon ordre ! Pourquoi j’ai repensé à cette chasse ? Pourquoi ? C’est vieux tout ça ! Je me sens mieux. Ça va le faire ! Guy doit être impatient de me revoir !
Gérard tourna la tête pour voir les lieux dans lesquels il se trouvait. Il se trouvait dans un couloir. Sur un lit médicalisé. Son bras était immobilisé pour qu’il n’arrachât pas le trocart qui diffusait lentement des médicaments. Il se souleva un peu, tant bien que mal, sur le coude de l’autre bras. Devant lui il y avait un autre lit semblable au sien. Il entendit gémir. Il se concentra. Ça ressemblait au halètement qu’il connaissait bien d’un cerf blessé qui attend la mort. Il savait comment cela faisait, comment cela se passait.
Et Guy ? Où est-il ? Il a été amené avec moi si je me souviens bien. En même temps. J’espère qu’on pourra retourner à la chasse, tous les deux. Rien que tous les deux. Comme une promenade dans la nature. Oh, j’ai quand même mal. Il ne faut pas que je respire trop vite, trop profondément. Tout se passe comme si mes poumons avaient rétréci.
Le regard de Gérard se porta plus loin. Des lits, des lits, rien que des lits. Là-bas auprès de certains, se penchaient des fantômes verts et masqués. Comme son infirmière. Comme … ah oui, quel était son nom ?... Karima.
Son lit étant placé devant la porte d’une salle, une chambre d’hôpital, Gérard y jette un œil. Un homme est allongé sur le ventre. Plusieurs personnages s’affairent autour de lui. Des extra-terrestres de vert vêtus, charlotte, lunettes similaires à des lunettes de sécurité ou de plongée, masque qui leur donne un profil de canard, un costume deux pièces veste et pantalon large, très long. En se redressant un peu plus, il aperçoit à leurs pieds des crocs, comme à la plage et pourtant il n’entend pas le bruit des vagues. Le regard de Gérard se porte sur l’homme allongé sur le lit. Gérard voit son dos. Nu. Des tuyaux passent sur les épaules et disparaissent sous la tête. Ils proviennent d’une machine qui siffle et halète. Elle comporte un écran sur lequel les vagues sont visibles. Lentes ondulations en haut de l’écran, petites courbes nerveuses en bas. Des Bip réguliers s’en échappent. Puis d’un coup un trait barre l’écran. Un sifflement ininterrompu emplit la pièce. Un des soignants pose un stéthoscope sous l’omoplate. Il hoche énergiquement de la tête. Il crie des mots indistincts. Un autre soignant, lui, semble avoir compris, il se retourne une seringue en main. L’aiguille s’enfonce dans l’avant-bras retourné du malade. Gérard a mal pour lui. Sa main se crispe machinalement. Ils sont cinq autour du malade. Le sifflement est toujours continu, lancinant et lugubre. Ils tournent autour du corps. Ils sont trois vers la tête, deux aux pieds. Gérard bouge la tête à droite et à gauche pour ne rien perdre de ce qui se passe.
Mais, qu’est-ce qui arrive ? Pourquoi était-il sur le ventre ? On respire mal dans cette position ! Oh ! Mais, ils lui font un massage cardiaque ! Mais enfin, le mec … le mec … il est en train de … non ! … de mourir ! Et j’assiste à sa mort alors ? Pas possible ! Mais qu’est-ce qu’il avait comme problème de santé ce mec ? Le fameux Covid lui aussi ? Putain la saloperie !
Dans la chambre Gérard entend compter. Tout le monde s’agite. Il entend « Chargez ! », suivi de « Ecartez-vous ! ». Gérard entrevoit le corps du mec s’arcbouter. Trois fois. Trois fois de suite le corps du mec se tord, se vrille. Et cette machine qui siffle, siffle …
Mais ils vont réussir à le réanimer quand même !
Deux personnes sortent de la pièce et referment le rideau derrière elles.
Mais ! Oh ! laissez ouvert ! J’veux voir ! Oh là ! Ah ! La machine s’est arrêtée. Il doit aller mieux ! Allez, ouvrez !
Les trois derniers semblent avoir entendu Gérard, ils ouvrent le rideau et sortent de la pièce.
Ils poussent devant eux la machine qui était au fond ! Il y en a des tuyaux ! Houlà, quelle plomberie ! C’est ça un respirateur ? Il paraît que j’y ai eu droit moi aussi. Ils partent et ils referment le rideau. Ouais, bon, ce mec, il est mort alors ??
Gérard soupire et se laisse lourdement tomber sur le dos. Il sent sa respiration, il doit en forcer les inspirations. Il a encore mal. Il a la bouche ouverte et sèche. Il n’arrive pas à respirer du nez.
Un homme en vert s’approche de lui.
— Vous avez besoin de quelque chose, monsieur ? Vous voulez qu’une infirmière vienne vous voir ? Tout est Ok ?
— Je veux boire !
— Karima ! appelle-t-il.
— Non pas elle !
— Pourquoi ?
— Pas Karima. Enfin …
— Pourquoi ?
— Heu … Il n’y aurait pas une infirmière … française disponible ?
à suivre ...